Comment le monde avait-il pu subitement basculer de la sorte ? Comment, en une fraction de seconde, tout avait pu s'effondrer ? Amnesya, ce monde que Prudence ne connaissait que trop bien, semblait si étrange et si familier depuis quelques temps. Voilà plus d'un an qu'il y vivait, qu'il y dormait, qu'il s'était habitué à voir Puck débarquer avec des cocktails molotov ou Aloïs passer pour prendre un verre après une journée bien remplie. Mais il y avait des choses auxquelles il ne pourrait jamais réellement se faire. Pourquoi, alors que tout paraissait si doux et serein, le monde s'effondrait autour des habitants, avec toujours plus de rudesse, toujours plus de haine. Il aurait dû le deviner, ici, dans cette citée des oubliés, les choses n'étaient jamais calmes trop longtemps. Peut-être que Prudence aurait pu faire quelque chose. Peut-être que s'il avait été davantage sur ses gardes, tout cela aurait été évité et il n'y aurait pas eu un énième drame tragique à déplorer. Mais il avait oublié. La vie avait été si douce, si agréable, alors pourquoi s'en priver ? Il n'avait probablement pas été le seul à se satisfaire de cette vie si idyllique que le destin leur avait offert l'espace d'un instant, mais il était probablement celui qui s'en voulait le plus et pour cause.

Aloïs était mort. Et contrairement a tout ce que Prudence aurait aimé croire, il ne reviendrait pas. Son frère était mort et contrairement a tout ce qu'il aurait aimé voir, jamais plus il ne s'assiérait au bar pour boire un verre. Au début il avait nié, avec force, souriant bêtement, en s'attendant à ce que quelqu'un débarque pour lui annoncer qu'il s'agissait d'une farce. Puis il avait réalisé, avec stupeur, que tout était vrai. Prudence avait pleuré, un peu. Un peu trop. Il avait senti son cœur se briser. Son meilleur ami, son frère, celui avec qui tout avait commencé à Amnesya, il y avait si longtemps et pourtant si peu de temps à la fois. Et alors qu'il était parti, c'était tout l'univers qu'Aloïs emportait avec lui.

Comprenez bien. Prudence n'avait jamais été trop du genre à se lier d'amitié, à ressentir les choses avec passion ni même à éprouver des sentiments a l'égard des autres. Il se contentait d'être là, se demandant si finalement il disposait d'un sens de la compassion ou bien même d'un soupçon de bienveillance à l'égard du genre humain. Mais pour Aloïs, c'était différent. Il s'était toujours senti proche de celui avec qui il s'était réveillé et il était même à peu près certain d'avoir réussi, avec lui, à passer outre ces drôles de ressentiments pour éprouver quelque chose de vrai, de spontané, qu'il avait très vite associé à sa propre interprétation de l'amitié. Aloïs et lui avaient été amis. Et parler de lui au passé lui brisait le coeur. Il s'était pourtant interdit de montrer aux autres combien sa peine était grande. De toute façon, il était fort probable que personne ne sache, ni même ne comprenne la proximité étrange qui avait lié les deux hommes.

Aloïs serait forcément enterré tôt ou tard, mais en attendant, il fallait lui rendre hommage dignement. Très dignement. Avec toute la prestance qui lui incombait. Prudence avait donc fait passer le mot ; il organisait une veillée en hommage au maire de la ville ce soir-même dans son bar et tous étaient conviés à venir pour se recueillir et honorer la mémoire de ce grand homme. Lentement, la journée avait défilée, et même s'il avait le nez plongé dans ses préparatifs, Prudence n'avait pu s'empêcher de ressentir un poids sur ses épaules. Il ouvrit le bar, ce soir-là, avec un gout amer dans la bouche et le sentiment qu'il laisserait bientôt une partie de son âme s'envoler à jamais. Entièrement vêtu de noir, il avait l'impression d'être la mort et ça le dérangeait. Sèchement, il alluma toutes les lumières, parcourant la salle encore vide avec le sentiment qu'elle le serait toujours désormais. Comme à son habitude, il prépara les tables, puis se réfugia derrière son bar, seule protection contre le reste de l'humanité. Bientôt le bar commença à se remplir, mais contrairement a d'habitude, il ne trouva pas réellement la force de saluer les habitants d'Amnesya. Douloureusement enfermé dans son mutisme, il espérait encore bien naïvement, le voir passer la tête par l'encadrement de la porte.

Mais une heure après l'ouverture et alors que le bar semblait se remplir toujours plus de personnes désireuses de s'abreuver du doux souvenir d'Aloïs, il dû se rendre à l'évidence. Il ne reviendrait pas. Amer, abattu, mais conscient qu'il fallait faire quelque chose, Prudence se racla la gorge et, un verre à la main, il passa de l'autre côté du bar pour frôler cette foule étrange. D'un tintement de verre, il tenta d'attirer l'attention de ces derniers, puis, il prit la parole ; " Merci à vous d'être là ce soir. Aloïs aurait été ravis de voir une telle communauté se mobiliser autour de lui. Je ne suis pas très doué pour les discours, ni pour les jolis mots, mais je tenais à prendre la parole. Aloïs était un grand homme, n'en déplaise à certaines personnes. Il était bienveillant et à l'écoute et surtout, il aimait Amnesya. Il a fait de grandes choses pour la ville et j'imagine que c'est désormais à nous, de continuer son travail. En lui souhaitant une vie plus douce dans l'autre monde. " Prudence marqua une légère pause, tout en levant son verre, puis acheva ; " Au revoir, mon ami. "

Quand on y pense, c’était quand même un comble pour un gars qui bossait à la morgue d’être le premier à finir là bas. Qui allait s’occuper du corps de notre pauvre maire ? Je vous avoue que pendant un instant, j’avais hésité à aller à l’hôpital pour aller voir. Par simple curiosité, puis je m’étais ravisé. Vous avez vu, je suis capable d’être sage parfois ! A vrai dire, je doutais surtout que le corps soit toujours là bas. Puis vu qu’il s’agissait d’une mort pas très naturelle, j’imagine que la police menait l’enquête, bref, je n’avais pas envie de m’empêtrer là-dedans. En plus, il y avait mieux qu’un tour à la morgue à faire aujourd’hui. Prudence organisait un truc au bar ! On était censé appeler ça comment d’ailleurs ? Un pot de départ ?

Je ris à ma propre blague tout en terminant de me préparer. Je crois que je n’avais plus le droit de mettre les pieds dans l’établissement de Prudence. Mais étant donné que l’homme squelette avait pardonné à Ash, puis on parlait de la mort du maire… Peut-être que, pour une fois, j’arriverai à passer la porte du bar sans embrouille. Je n’avais demandé à personne parce que j’étais presque sûr que si je l’avais fait on m’aurait répondu un “d’accord mais à condition que…” et je détestais les conditions. Pourquoi ce serait toujours à moi de faire des efforts ? Surtout que je ne veux que le bien de tous voyons ! A ce que je sache, je n’avais jamais fait de mal à personne. Enfin pas physiquement, apparemment j’avais heurté les sentiments de Pru avec cette histoire de bar. Mais c’était il y a si longtemps maintenant, de l’eau avait coulé sous les ponts depuis !

J’arrivai au bar d’un pas léger et avec un sourire aux lèvres qui contrastait avec l’ambiance déjà en place. Des gens tristes qui pleurent. Rien que l’idée de me faisait grimacer. Autant j’adorais les fêtes, mais je ne me sentais pas du tout dans mon élément dans celle-ci. Ah oui ! On appelait ça un hommage ! Pot de départ c’était tout de même plus drôle. J’arrivais attend pour entendre les discours poignant de Prudence et d’Ash. Autant j’adorai ce dernier, autant c’était dur de pas pousser un long soupir. Cette fête allait être la plus barbante de la création. Qu’est-ce que je foutais là, franchement ?

Attendez, je n’allais pas laisser ce rassemblement s’appitoyer sur son sort, certes, Aloïs était parti et c’était un chic type, il allait me manquer. Mais est-ce que c’était une raison pour être triste ? Aloïs n’aurait pas voulu qu’on pleure sur son cadavre, si ? En tout cas, le premier que je vois pleurer à ma mort, je vous jure que je reviendrais de l’Au Dela pour lui en coller une en bonne et due forme. Je me décidais donc à lever mon verre, prêt à, moi aussi, rendre mon petit hommage, quand je reçu un bon coup de coude dans les côtes qui me fit à la fois renverser mon verre, puis me taire. Je me retournais immédiatement vers la personne :

- C’est quoi ton problème, j’ai pas le droit de m’exprimer ?

Je savais très bien que j’avais une certaine réputation à Amnesya, mais est-ce que c’était une raison pour ne pas me laisser le droit de rendre hommage à notre cher maire ?

[ Post de Mirage, et donc pas de Love *changement de personnage* ]

Mon arrivée en ville était récente. Beaucoup trop récente. L'amnésie ne me plaisait pas, et j'imaginais qu'elle ne plaisait à personne. Pourtant... de tous les amnésiques ici, j'étais apparemment la dernière en date à être arrivée. Comment les choses se déroulaient-elles ? Pourquoi tout le monde se réveillait sans aucun souvenir, pourquoi à cet endroit, et pourquoi les gens acceptaient-ils ça ? J'imaginais que j'allais devoir m'en accoutumer aussi. Pourtant, j'étais bien partie pour faire de cette vie dont je me rappellerai définitivement - ou en tous cas, c'est ce que j'osais espérer - quelque chose de phénoménal. J'allais essayer. C'est la raison pour laquelle j'avais décidé de ne porter que des tenues ravissantes et prestigieuses. Je ne serai pas semblable au premier pignouf venu de pétaochnoc. Non, j'avais besoin de montrer que je n'étais pas n'importe qui, et qu'on ne me la faisait pas à l'envers à moi, messieurs dames. Alors, pour ma sortie du soir, je décidais d'enfiler une robe assez discrète et passe-partout, puis j'attachais ma longue chevelure de feu en une queue de cheval haute, et me maquillais légèrement les yeux de noir, puis je partis arpenter les rues du centre ville. Pourquoi ? Pour aller où ? Je l'ignorai. Mais en voyant quelques personnes se diriger vers le bar du coin, je décidais d'aller y jeter un coup d'oeil. Il y aurait sans doutes de quoi faire là-bas. Lorsque j'arrivais, je remarquais qu'il y avait un moment de flottement, et tout le monde semblait silencieux. Je remarquais un type en train de parler cependant avec un autre, lui indiquant quelque chose qui se trouvait sur son entrejambe. Non mais où est-ce-que je venais d'atterrir ? Ne les voyant que de dos, je ne repérai pas encore que l'un des deux était Caïn, autrement dit l'une des rares personnes dont j'avais déjà pu faire la connaissance. Alors, j'avançai dans le bar pour essayer de comprendre ce qui se passait. Presque tout le monde était vêtu de noir et affichait un teint cadavérique. Avec ma franchise naturelle, je n'eus pas le temps de réaliser ce que j'allais dire que les mots étaient d'eux-mêmes sortis de ma bouche.

"Qu'est-ce-qui se passe ici ? Vous tirez presque tous des têtes d'enterrement."

Si j'avais été gentille, que j'avais du tact, un peu de bonté et de la chaleur à propager, je n'aurai jamais prononcé ces mots. La chaleur que j'avais à propager n'était clairement pas la même, et personne n'y serait potentiellement préparé. Quant au reste... Vous savez, on a qu'une vie. Alors quand en plus on ne se rappelle pas de cette saloperie de passé, on prend les choses comme elles viennent. Et il s'avérait que je ne connaissais visiblement personne, et que tout le monde faisait la gueule ! Est-ce-que c'était de ma faute ? Non. Merci de le reconnaître, nom de dieu. Je réalisai également que j'étais partie sans rien. Je n'avais donc pas pris d'argent sur moi, aussi, si je comptais boire ou manger quelque chose, il faudrait que j'use de mes charmes. Et bien que j'ai totalement confiance en moi, j'avais des doutes sur le fait que j'arrive à charmer quelqu'un ici. Tout le monde semblait se morfondre - tout le monde ou presque - car il y avait quand même un type un peu énervé. C'était celui qui semblait être à côté de Caïn, mais je n'avais pas encore réalisé tout ça car au moment même où j'étais en train de regarder le type énervé, je réalisais un peu ce qui était en train de se passer. Tous les gens ici présents étaient en train d'organiser une cérémonie de... comment on appelait ça, bon sang. Un enterrement de vie de garçon ! Voilà pourquoi ils étaient tous dans cet état, quelqu'un allait se marier. Il allait se passer la corde au cou comme on disait... quoi que, personne ne dit ça, si ? Je finis par aller m'asseoir près du bar sur un tabouret, faisant attention à ce que ma robe ne traine pas trop par terre, et j'observai un peu plus le bar. Il n'y avait pas un karaoké ou une connerie du genre quelque part ? On allait quand même pas laisser peser cette atmosphère quand même...

"Oh. Peut-être que vous êtes juste en train de vous demander pourquoi tout le monde est ici dans les mêmes tons sombres et avec ces airs maussades... C'est à cause des pertes de mémoire ? A moins que je ne sois la seule à avoir l'impression de me réveiller d'un lendemain de soirée beaucoup trop arrosée... tout le temps."

Je parlais mais en me lassant moi-même du sens de mes paroles. Je m'ennuyais inlassablement et j'avais besoin de me remplir le ventre. Je lançai un regard en direction du barman, mais je n'étais pas sûre que lui - ou même quiconque par ici - ne comprenait tout ce que je racontai. Pas qu'ils ne comprenaient pas... mais j'avais l'impression d'être une intrus. Qu'est-ce-que c'était que tout ça ?

Les journées étaient longues à Amnesya, mais elles ne l’avait jamais été autant depuis le décès de notre très cher maire. Je trouvais que c’était assez culotté de sa part de mourir aussi soudainement pour diverses raisons. La première était qu’aux dernières nouvelles, j’étais la doyenne de cette ville et il me semblait que si quelqu’un devait avoir le privilège de décéder en premier, il s’agissait de cette personne. Ensuite, Aloïs, de part son jeune âge, avait toute la vie devant lui, ce qui n’était pas vraiment culotté de sa part à lui, mais de celle du tueur. Et pour finir, personne n’était mieux placé que moi pour se rendre compte de la catastrophe administrative que représentait cette situation. Mais malgré toutes ces raisons de lui en vouloir, j’étais triste. Et sans avoir beaucoup échangé avec Monsieur le Maire, il allait me manquer.

Puis cela me chiffonnait de voir toute cette jeunesse si triste. Personne ne devrait avoir à souffrir à cet âge. Bien sûr que la perte faisait partie des étapes de la vie. Et tous étaient en train d’apprendre de cette disparition soudainement. Cela n’empêchait pas d’éprouver de la compassion. Ainsi, j’avais décidé de me joindre à cet hommage organisé au bar de Prudence. Quel brave homme. Cependant, il n’était pas question de venir les mains vide, alors j’avais passé ma journée aux fourneaux et passait la porte du bar avec deux paniers remplis de cookies. C’était le moins que je puisse faire, j’espérais que cette dose de chocolat suffirait à remonter un peu le moral de chacun et les aider à surmonter leur peine.

Les discours de Prudence et d’Ash me mirent la larme à l’oeil, mais je fis en sorte d’essuyer mes yeux rapidement. Il ne faudrait pas que la jeunesse me voit céder aussi facilement, allez soit forte Camomille, soit forte pour eux. Je ne prêtai pas attention aux petits troubles fêtes pour me diriger vers Ash. Je lui accordai une tape réconfortante sur la tête avant de lui mettre un cookie entre les mains :

- C’était un très beau discours, mange ça mon chéri, ça te remettra d’aplomb.

Je me tournai vers Prudence et lui mis également un cookie entre les mains :

- Tu devrais en prendre aussi. Merci pour cet hommage, toutes mes condoléances.

C’était assez difficile de savoir à qui il fallait tenir de telles paroles, mais de toutes les personnes de cette ville, Prudence semblait le plus affecté par cette perte me semblait-il. Tout du moins son discours semblait l’indiquer ainsi. Aux dernières nouvelles, personne n’avait de lien de parenté ici, mais cela n’empêchait pas de créer des liens forts les uns avec les autres. Et il me semblait qu’aujourd’hui, ce n’était pas seulement son maire que la ville avait perdu, mais également son père.

Ce soir encore il faudrait briller, comme une étoile. Encore. Briller dans le néant. Poison se regarda une dernière fois dans le miroir de sa commode. Elle avait l’allure d’une veuve noire. D’une magnifique veuve noire, bien évidemment. Entièrement vêtue de noire avec cette merveilleuse robe qu’elle ne sortait que pour les grande occasion et qui découvrait à peine ses doux mollets. Pour couronner le tout, elle portait une jolie petite coiffe sur le sommet de la tête qui recouvrait la moitié de son visage d’un joli tulle noir. Une reine en deuil. Une première dame dans toute la noblesse de la perte d’un homme -bien qu’elle refusa toujours de près comme de loin de s’acoquiner avec cet idiot d’Aloïs. Car c’était bien de cela dont il retournait. Elle avait appris la nouvelle parmi les premiers et c’était elle qui avait autorisé le journal à relayer la nouvelle. Poison avait vu le corps d’Aloïs, inerte. Et, bien qu’elle eu toujours eu les nerfs solides, cette image la tourmentait encore quelque peu.

Mais hors de question d’en laisser apparaitre quoi que ce soit. La ville devait continuer à tourner. Avec ou sans son maire. Heureusement -pour la ville- Poison était une travailleuse, acharnée du travail et absolument prête a tout pour cette dernière. Elle avait redoublé d’effort pour maintenir cet ilot a bout de bras, épargnant à Ash la tonne de paperasse dont il en découlait. Pas franchement par bienveillance, mais plutôt parce qu’elle s’était persuadée qu’elle y arriverait -or, pour le moment, cela fonctionnait plutôt bien. La seule crainte de Poison, désormais, c’étaient les soulèvements de masse ou les mouvements de panique. Il fallait bien reconnaitre qu’avec Aloïs au pouvoir, la ville était restée relativement calme -en dehors d’un minotaure ou deux bien évidemment- et donner à Ash une place de membre du conseil avait quelque peu canaliser ce débile dégénéré de Puck. Toutefois, maintenant qu’il n’y avait plus la tête principale, elle craignait fortement que des mauvaises têtes -ou pire, des aspirants en politique- ne tente un coup d’état. Et Amnesya n’avait absolument pas besoin de ça.

Après s’être assurée que Queen, sa femelle Main Coon, aurait suffisamment d’eau et de nourriture pour la soirée, elle fila d’un pas léger, en direction du bar de Prudence. Cet idiot dramatique avait préparé une sinistre veillée funèbre a l’intention d’Aloïs et il était hors de question qu’elle loupe ça -pour rien au monde. Mais il était déjà tard et lorsqu’elle arriva, elle fut forcée de constater que toute la plèbe s’était déjà donné rendez-vous dans ce lieu sinistre. Se retenant de se faire remarquer, elle se contenta de contourner le centre des lieux pour se diriger vers le bar. « Excusez-moi je vous prie. » Elle se faufila avec grâce et magnificence, comme toujours, entre les gueux qui vivaient dans la belle ville dont elle avait jadis rêvé de bâtir la splendeur. Désormais, elle était un peu plus sage. Plus raisonnable. Ou plus vicieuse. Mais là encore, tout dépendait du point de vue, bien évidemment. Fendant la foule, elle attrapa un verre préparé sur le bar. Bien sûr, elle ne boirait pas. Mais il fallait bien se donner contenance pour l’évènement pas vrai ? Adossée au bar, mais pas assise. Droite comme un « i » et le regard vif, elle balaya la salle d’un regard. Elle reconnu bien des visages, dont certains qui lui déplaisaient comme celui de Puck -pour ne citer que lui. Mais là encore, elle se garda bien de faire la moindre remarque car elle savait que sa présence, en tant qu’opposante politique du défunt maire- lui attirerait les foudres de certains de ses petits moutons. Briller, mais briller dans le néant, comme c’était prévu.

Il avait le cœur froid et la bouche sèche. Avoir prononcé ses mots, avoir fait un tel discours lui avait quelque peu tordu les tripes. Mais au moins maintenant les choses étaient dites et il ne restait plus pour Prudence qu'à faire son deuil et il n'avait pas besoin d'être particulièrement futé pour se douter que les choses s'avèreraient plus complexes qu'elles n'en avaient réellement l'air. Tant pis. Ça prendrait le temps que ça prendrait et bien que le tatoué ne soit pas un fervent optimiste, il savait d'avance qu'au terme d'une longue introspection, il irait mieux. Mais pour l'heure, il devait faire en sorte que ce moment soit mémorable pour tous et qu'Aloïs soit honoré jusqu'à la fin. Rien ni personne ne viendrait interrompre ce beau moment. Pas même Puck, qu'il avait remarqué dans un coin du bar, en compagnie d'un type aux cheveux rouges. Il lança à l'intéressé un regard qui voulait en dire long sur la façon dont il lui éclaterait le crâne s'il commençait à faire des vagues. Mais pour l'heure, il le tolérait, en mémoire de son vieil ami Aloïs. Il ne s'y intéressa pas plus longtemps car déjà Alex venait de s'asseoir en face de lui. Machinalement, il lui servit un verre d'alcool, sans dire le moindre mot.

« Tu devrais en prendre aussi. Merci pour cet hommage, toutes mes condoléances. » Camomille le tira d'une espèce de torpeur étrange dans laquelle il s'était quelque peu muré. Dans ses mains, la vieille dame tenait un cookie. Prudence l'aurait bien refusait, mais déjà elle le lui abandonnait dans les mains. Pauvre vieille femme. Elle aussi devait être affectée par la disparition d'Aloïs, et pourtant, elle n'en laissait rien paraitre. Drôlement forte celle là. Prudence la remercia d'un léger signe de tête, sans ajouter le moindre mot, car il lui semblait que pour ce soir, il avait déjà tout dit. Renfrogné et prostré dans un silence respectueux, il observa pourtant les visages de chaque personne présente dans le bar. Et ils étaient nombreux, ce soir, à être venu rendre un dernier hommage au maire de la ville. Il aperçu même Poison. La vieille bique était dans un coin. silencieuse, elle semblait enfin respectueuse. A croire que seule la mort d'une personne importante avait réussi a lui fermer son clapet de vieille sorcière égocentrique. Tant mieux, dans un sens. Ça faisait un truc en moins dont il faudrait se préoccuper ce soir. Parce que voir Puck, c'était déjà suffisamment préoccupant comme ça. Comme Ash n'était pas très loin, Prudence l'interpella, la voix rauque « C'est ton ami, essaie de lui faire comprendre que ce soir on ne fera pas de soirée mousse, s'il te plait. » Plus une supplique qu'un ordre, il voulait éviter de passer dans les journaux et de faire les gros titres pour une raison si funeste. Et il voulait davantage éviter d'être interpellé par Alex parce qu'il avait commis un meurtre. Occasionnellement.

Il me regardait chelou ce gars. J’aimais pas trop ça. Est-ce que Pru avait employé des agents infiltrés pour s’assurer que personne ne vienne mettre un peu d’ambiance dans son bar ? Que la vie est triste quand on en arrive à de tels extrêmes. D’ailleurs en parlant de rabat-joie, mon regard croisa celui d’Alex à qui j’eus le plaisir d’adresser un clin d'œil. Ce geste ne voulait pas dire grand chose. Mon seul but était d’enquiquiner le flic et j’étais presque sûr qu’une chose aussi bête qu’un clin d'œil suivi d’un beau sourire, suffirait à l’agacer. Avec certains, c’était bien trop facile.

En attendant, revenons-en à notre mouton à la tête rouge qui venait de me dire que la raison de son regard était ma braguette ouverte. Immédiatement mon regard descendit vers mon jeans pour constater qu’en effet, c’était jour de paie aujourd’hui. Je fronçai les sourcils, préoccupé et refermais la fermeture en un éclair. Si je savais ce qu’était la honte, je l’aurais sans doute ressenti à l’idée que toutes les personnes autour de nous aient pu voir mon pantalon mal fermé. Mais une seule question préoccupait réellement mon esprit. Je relevais les yeux vers le jeune homme et doucement affichait un sourire malicieux :

- Mais où est-ce que tu regardais, petit coquin ?

Je conclus ma phrase par un coup de coude amical à mon interlocuteur, mais ce dernier avait apparemment déjà prévu de s’éloigner. Tant pis, ce serait pour une prochaine fois. Ce p’tit rouquin n’était pas au bout de ces peines maintenant que j’avais son visage en tête. Rapidement, Ash fit son apparition. Cette fois, mon sourire fut de la pure joie. J’adorais toujours autant voir mon meilleur ami. Sans hésité, je le pris dans mes bras avant de répondre :

- Salut champion ! Comment tu vas ?

Ça faisait une vie que je n’avais pas passé du temps avec Ash ! Tout du moins, c’était mon ressenti. Après peut-être que ça ne faisait qu’un jour ou deux, mais nous étions tellement souvent collés ensemble que plus d’une journée sans ce voir me semblait long. D’ailleurs, hors de question que je le laisse s’enfuir sans quelques explications sur une scène que j’avais pu entrapercevoir.

- Dis-moi, c’était quoi ça ? Avec miss cheveux bleus ? T’as pas oublié de me dire quelque chose ?

Attendez, la petite s’était approchée de lui et ils semblaient vraiment très proche. Si vous voulez mon avis, il y avait baleine sous gravier. Vous me prenez pour qui ? Pour être un fauteur de trouble de première classe, la règle numéro un est d’être observateur et ne rien laissé passer !